Interviewer :
« Bonjour Docteur Bagot, dans la suite de la série « Suis-je normal Docteur », qu’en est-il de la normalité et des émotions ? « Ce que je ressens est-il normal ? Dois-je manifester mes sentiments ? » Les individus se préoccupent-ils de ce qu’ils doivent ressentir en fonction des moments et des situations ? »
Docteur Bagot :
« Il y a une inquiétude par rapport aux émotions et à la normalité. J’observe cela essentiellement dans le domaine du travail. L’expression des émotions est quelque chose qui doit être spécialement contrôlé chez les hommes. Chez les femmes, c’est mieux toléré.
On observe également qu’au cours des époques, les émotions pouvaient être ou ne pas être exprimées. Par exemple, au XVIIe siècle, il était normal d’exprimer ses émotions : À la cour du roi Louis XIV, dans les années de la guerre de succession d’Espagne, il y a des écrits qui précisent que le Roi pleurait en compagnie de la famille royale quand il y avait des mauvaises nouvelles.
Actuellement, c’est une situation inacceptable pour des personnes qui se trouvent en position de pouvoir. Cette retenue pousse ces personnes à se comporter comme des robots et ces comportements ont des conséquences. Je vois beaucoup de gens par la suite qui développent des troubles anxieux et se sentent coupables d’avoir ces sentiments.
On a l’impression qu’ils veulent maîtriser ces émotions et ils développent des troubles de panique obsessionnels et d‘anxiété sociale. Sur leur lieu de travail, ils assurent leurs tâches habituelles et se débattent parallèlement pour cacher cet aspect de leur personnalité qu’ils considèrent comme honteuse. »
Interviewer :
« Finalement, beaucoup de vos patients ont du mal à gérer personnalité et missions professionnelles. Ils mélangent leurs compétences, leurs savoir-faire et ce qu’ils ressentent. En termes de personnalité, cela semble rentrer en collision. Est-ce une injonction sociale ou les individus qui ont une mauvaise interprétation de ce qu’on attend d’eux au travail ? »
Docteur Bagot :
« Je pense qu’il s’agit pour l’essentiel d’injonctions de la société et des entreprises. Par exemple, il y a des formateurs et des coachs qui poussent les individus à contrôler leurs émotions. C’est quelque chose de très clair : les émotions, la tristesse, et la colère gênent. Ces émotions dérangent. Alors que, parfois, il y a des raisons d’être en colère ou bien même d’être triste. On impose à l’individu d’être souriant et dynamique alors que les mauvaises nouvelles, ou un management inapproprié, ne le permettent pas.
Il y a un mouvement pour l’intelligence émotionnelle : on voit qu’il y a une récupération de l’émotion par l’entreprise et ils ont placé cela sous le chapeau de l’intelligence émotionnelle. C’est l’intelligence en dehors de l’intelligence intellectuelle et rationnelle. C’est tout ce que nous disent nos émotions, sur ce qui nous entoure et nous-même. Cette émotion doit être contrôlée afin d’être acceptée en entreprise. »